Depuis la création de l’Union Européenne, sa frontière extérieure a été par définition changeante, car l’organisation a vocation à s’étendre, du moins virtuellement, à l’ensemble des pays du Vieux Continent. Le champ géographique de l’UE affecte directement ses institutions, sa sécurité en tant qu’entité supranationale, son identité culturelle ainsi que le degré d’intégration interne. Dans de nombreux pays européens, les débats sur la frontière ont abouti à un nouveau clivage politique, entre les souverainistes et les européistes. D’un autre côté, le fait de déplacer la frontière extérieure commune pour changer la carte de l’Union Européenne en accueillant de nouveaux membres implique de grandes réformes institutionnelles internes.

carte de l'union européenne
Carte de l’Union Européenne – Source: Julien Daget – Wikimedia Commons

La carte de l’UE à l’épreuve de la menace de l’est

La question de la forme de la carte de l’UE et de ses frontières est centrale et se pose avec une acuité particulière. Certains Etats estiment que leur sécurité est menacée à leurs frontières (les pays baltes et à l’Est par la Russie en particulier) et doutent de la capacité de l’Union à les protéger, ce qui entraîne une augmentation des dépenses militaires nationales, comme ce que nous observons en Pologne, ou une stratégie d’intégration renforcée avec d’autres alliés hors Europe. La question est vitale : si la Russie menait une politique agressive et expansionniste comme en Ukraine contre un État membre, que ferait l’Union ? Ce serait le véritable test pour les frontières et l’identité européenne. La carte de l’Union Européenne n’a, pour l’heure, jamais été « testée » par un conflit majeur. Au-delà de l’aspect sécuritaire, la question des frontières introduit l’aspect identitaire : ce qui lie les nations au sein de l’Union, c’est aussi ce qui les distingue à l’extérieur, et la distinction entre « l’intérieur » et « l’extérieur » de la carte de l’Union Européenne est constitutive d’un sens culturel.

L’élargissement de la carte de l’UE en 2004 a soulevé des craintes

La question des frontières est donc liée à celle de l’identité politique et géopolitique de l’Union et implique un ensemble collectif multinational. Il faut bien sûr réaffirmer la contribution géopolitique des différents élargissements à l’intégration européenne en termes de pacification, de réconciliation et de stabilisation du continent, et ce malgré les évolutions préoccupantes en Europe centrale. Il faut cependant reconnaître que, contrairement aux élargissements précédents, ceux de 2004 ont été accompagnés de questions, non seulement de nature politico-institutionnelle et socio-économique, mais surtout culturelles et historiques, qui se sont élevées dans plusieurs opinions publiques nationales. Les adhésions de 2004 ont mis en vedette des pays qui n’entraient pas forcément dans la conception populaire de la carte de l’Union Européenne. Ce fut en tout cas l’avis d’une certaine partie de la classe politique française, néerlandaise, allemande et autrichienne. Au-delà des raisons économiques, comme les craintes du dumping social et fiscal amplifiées par la crise et politiques comme un certain sentiment de perte d’influence des mastodontes du continent, la question de l’identité est liée à la fracture géopolitique causée par la chute du mur de Berlin. D’une part, cette crise d’identité trouve son origine dans le sentiment d’une extension apparemment indéfinie qui caractérise une Europe sans limites qui, bien que vitale, n’a pas su prendre au sérieux la question du territoire. D’autre part, il y a la fracture géopolitique qui s’est introduite avec l’effondrement de l’Union soviétique il y a plus d’un quart de siècle et qui a mis en lumière un facteur unique : le contact difficile avec la périphérie du continent européen qui semble constituer un terrain glissant pour la carte de l’UE.

Dans un tel contexte, il est essentiel de théoriser, à la fois sur les plans politique, économique et culturel, les limites de l’Union Européenne. Cette question vitale a été évitée pendant trop longtemps sous prétexte qu’il s’agissait d’une question qui divisait les Européens, notamment quant au statut à offrir à la Turquie et à l’Ukraine. En ne mettant pas cette question centrale sur la table, l’inconfort de l’opinion publique grandit, et se ressent dans les urnes, conduisant en définitive à l’affaiblissement progressif du soutien populaire à l’intégration européenne.