Comme toutes les organisations supranationales contemporaines, l’Union européenne est fondée sur un certain nombre de traités, dont certains remontent aux années 1950, comme le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE). Avant le traité de Lisbonne qui a été ratifié le 13 décembre 2017 après des négociations marathoniennes, l’UE était fondée sur le cadre institué par le traité de Nice, entré en vigueur en 2003. Le Traité constitutionnel élaboré lors de la Convention sur l’avenir de l’Europe en 2002 puis complété lors de la Conférence intergouvernementale (CIG) de 2004 a proposé un certain nombre de changements pour redonner une nouvelle impulsion à l’idéal de l’intégration européenne. Mais ce projet de traité a été rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas en mai et juin 2005, respectivement. Après une période de réflexion, il a été décidé de négocier un « traité modificatif ». La présidence allemande a joué un rôle important dans l’obtention d’un accord sur un mandat pour une nouvelle CIG en juin 2007. Et c’est donc au cours de la présidence portugaise à l’automne 2007 que cette CIG a produit un nouveau traité : le traité de Lisbonne qui vient modifier le Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne ou TFUE de Rome. Focus sur ces deux traités européens !

Qu’est-ce que le traité de Lisbonne ? Qu’a-t-il changé par rapport au TFUE ?

Le traité de Lisbonne s’est construit sur les traités existants mais a adopté de nouvelles règles pour renforcer la cohésion et rationaliser l’action au sein de l’Union Européenne. Les nouveautés apportées par le traité de Lisbonne par rapport au Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) peuvent être résumées en trois articles :

  • L’article n°18 : il s’agit d’un protocole qui régit l’élection d’un Haut représentant de l’Union Européenne élu à la majorité des voix pour superviser les affaires étrangères et la politique de sécurité ;
  • L’article n°21 encadre la politique diplomatique globale de l’Union européenne. Elle devient fondée sur les principes universels des droits de l’homme, de la démocratie et du développement mutuel. L’Union Européenne s’est engagée par cet article à forger des alliances avec les pays qui soutiennent ses convictions et à tendre la main aux pays du tiers monde pour les aider à se développer. Beaucoup ont vu en cette initiative une réponse au risque migratoire ;
  • L’article n°50 : il s’agit d’un ensemble de procédures mises en place pour encadrer les « Exit » éventuels d’un pays membre. C’est d’ailleurs cet article qui a été activé par le Royaume-Uni pour le Brexit.

Le traité de Lisbonne a également remplacé le traité constitutionnel précédemment rejeté qui tentait d’établir une constitution pour l’Union Européenne. Les pays membres n’ont pas pu s’entendre sur les procédures de vote établies dans la constitution car certains pays, comme l’Espagne et la Pologne, perdaient le droit de vote. Le traité de Lisbonne a donc résolu ce problème en proposant des votes pondérés et en étendant la portée du vote à la majorité qualifiée. S’il avait été ratifié, le traité constitutionnel aurait remplacé tous les traités existants de l’UE. Le traité de Lisbonne, quant à lui, est revenu à la méthode classique de réforme, se contentant de modifier les traités précédents sans les remplacer. Pour cette raison, le traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 est beaucoup plus difficile à lire que le traité constitutionnel de 2004. Heureusement, la version consolidée des traités incorporant le Traité de Lisbonne, qui a été publiée début 2008, propose une lecture plus aisée.

Le long processus de ratification du traité de Lisbonne en 2008

Initialement désigné sous l’appellation de « traité modificatif » du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), le traité de Lisbonne remonte au lendemain du traité de Nice paraphé lors de la réunion du Conseil européen en décembre 2000. Trouver une solution à l’impasse constitutionnelle créée par les référendums négatifs en France et aux Pays-Bas était le point le plus important à l’ordre du jour de la présidence allemande au cours du premier semestre 2007. Rappelons que 17 des 27 États membres avaient ratifié le Traité constitutionnel. Après les refus français et néerlandais, les autres États membres avaient suspendu le processus de ratification. Logiquement, les pays qui avaient ratifié le Traité constitutionnel exigeaient un nouveau traité similaire, qui ne soit pas foncièrement différent de ce que leurs peuples respectifs avaient souhaité voir dans la nouvelle mouture de l’UE.

Nicolas Sarkozy, président français de l’époque, avait suggéré un mini-traité qui n’inclurait que les éléments essentiels du Traité constitutionnel et qui exclurait les points les plus polémiques. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni souhaitaient également une réforme minimale qui leur permettrait d’éviter un nouveau référendum. La Suède et le Danemark étaient eux-aussi favorables à une telle approche, mais la Pologne ne cachait plus son rejet de la nouvelle double majorité avec un argument fort : désormais, 55% des États membres (majorité) ne représentaient pas plus de 65% de la population, ce qui met plusieurs millions d’Européens sur la touche. Les Polonais étaient satisfaits des règles de vote adoptées à Nice en 2000, et ils ont ensuite suggéré une approche « à la racine carrée de la population » comme la meilleure solution pour la pondération des voix. En avril 2007, la chancelière allemande Angela Merkel a envoyé aux gouvernements des États membres une lettre contenant douze questions qui impliquaient une approche plus pragmatique du problème, appelant le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque, la France et les Pays-Bas à faire preuve de bonne volonté pour aller de l’avant. La lettre suggérait également de revenir à la méthode classique d’amendement des traités existants.

Le traité de Lisbonne et le « problème polonais »

Face à la pluralité des parties, la présidence allemande de l’UE a adopté une stratégie de négociations bilatérales à huis clos, très différente de l’approche du traité constitutionnel. Les chefs d’État ou de gouvernement ont été invités à désigner des représentants personnels. La chancelière a rencontré personnellement ses homologues et leurs représentants, puis a organisé une réunion plénière unique le 15 mai 2007. Il est intéressant de noter que tout le processus a été contrôlé à Berlin, pas à Bruxelles. En plus de déplacer le centre de gravité de l’UE, cette approche a également relégué le secrétariat du Conseil au second plan. Lors de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 (et qui s’est prolongée jusqu’à la matinée du 23 juin), le gouvernement britannique s’est une fois de plus avéré un partenaire difficile. Tout comme la Pologne, le pays s’est opposé à la nouvelle règle de la majorité dans le traité constitutionnel, qui réduirait son influence formelle au sein du Conseil. Mais c’est bien la demande polonaise qui était la plus compliquée. Alors que les participants pensaient qu’un accord avait été négocié avant le sommet, le Premier ministre polonais a qualifié le plan proposé d’ « inacceptable ». Selon des sources bien informées, Angela Merkel aurait menacé les Polonais de conclure un accord entre les 26 autres États membres et de laisser Varsovie sur la touche. La Lituanie et la République tchèque, alliés traditionnels de la Pologne, ont exprimé leurs désaccords face à une telle approche. De nouvelles négociations, au cours desquelles la chancelière allemande a été assistée par Tony Blair, Nicolas Sarkozy et le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, ont permis de trouver un compromis qui a finalement été accepté par la Pologne. Elle a obtenu un report de l’application du vote à la nouvelle majorité jusqu’en 2014. Le Royaume-Uni et la Pologne ont tous deux obtenu une dérogation à la Charte des droits fondamentaux, ainsi qu’à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. L’Autriche a réussi à insérer une référence aux valeurs de l’Union comme condition d’adhésion et les Pays-Bas sont parvenus à renforcer les parlements nationaux. Le Premier ministre suédois a quant à lui tenté de résister au durcissement des conditions d’adhésion, et le Premier ministre fédéraliste belge a refusé le renforcement des parlements nationaux. De son côté, la France a réussi à éliminer la mention d’une « concurrence libre et non faussée » du texte du traité de Lisbonne. Lors du référendum de 2005, certains électeurs français avaient voté « Non » parce qu’ils considéraient l’Union comme trop libérale, voire trop « anglo-saxonne ». L’exigence de ne pas fausser la concurrence est réapparue dans le Protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence, à la demande de la Commission. En fin de compte, le sommet a adopté un mandat de 16 pages pour une Commission Intergouvernementale qui débuterait avec la présidence portugaise, le 23 juillet 2007.

La signature de l’accord de Lisbonne modifiant le TFUE

La plupart des travaux qui ont dû être effectués par la suite l’ont été par le groupe de travail d’experts juridiques du CIG. Les travaux du groupe ont été présidés par Jean-Claude Piris, directeur général du service juridique du Conseil, au nom de la présidence portugaise. Tous les États membres, ainsi que la Commission et le Parlement européen, étaient représentés dans le groupe. Les langues de travail du groupe étaient le français et l’anglais, mais le projet de texte sur lequel ils travaillaient était uniquement en français. Un participant polonais a écrit plus tard que Jean-Claude Piris a eu un impact significatif sur les travaux des groupes et donc sur la forme finale du traité modificatif. Les ministres des Affaires étrangères ont tenu une réunion informelle à Viana do Castelo, au Portugal, les 7 et 8 septembre 2007. Le groupe de travail a terminé le projet de traité révisé en français le 14 septembre 2007, mais il a tenu quelques réunions supplémentaires au cours des deux semaines suivantes pour traiter la question des clauses de non-participation du Royaume-Uni et de l’Irlande aux espaces de liberté, de sécurité et de justice. Les travaux du groupe se sont achevés le 3 octobre 2007.

La CIG s’est ensuite réunie au niveau ministériel, sous la forme du Conseil des Affaires générales et des relations extérieures, à Luxembourg, le 15 octobre 2007. Toutefois, aucune des questions en suspens n’a pu être résolue par les ministres. Deux jours plus tard, le Conseil européen s’est réuni à Lisbonne, les 17 et 18 octobre. C’est là que la CIG a réglé les questions qui bloquaient la signature. La Pologne a obtenu une formulation plus ferme du compromis, ainsi que la présence d’un avocat général polonais permanent auprès de la Cour de justice européenne (CJCE). Pour ce faire, le nombre d’avocats généraux est passé de 8 à 11. En outre, l’Italie a obtenu un siège supplémentaire au Parlement européen en portant le nombre de députés européens à 751. Le traité a finalement été signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.

L’Union Européenne au lendemain du traité de Lisbonne

Il a fallu près d’une décennie entre l’adoption du traité de Nice en 2000, la décision ultérieure de réexaminer le cadre du traité de l’Union européenne lors de la réunion du Conseil européen de Laeken en 2001 puis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009. Le traité est le résultat final d’une longue recherche d’une Union plus démocratique… un terme auquel on n’a pas forcément pensé dans les années 1950. Les dirigeants européens, pressés par leurs peuples respectifs, se devaient de remodeler l’image de l’UE pour la rendre plus cohérente dans ses relations extérieures… une tâche ardue pour une Europe qui approchait de la trentaine de membres. En réalité, la « cohérence » dans la politique étrangère était devenue un véritable défi dès lors que l’UE accueillait à la fois des puissances « occidentales » comme la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et des pays de l’ex bloc communiste qui, s’ils n’étaient plus sous l’influence directe de Moscou, ménageaient l’ogre russe et représentaient de facto certains de ses intérêts. Après le « Oui » irlandais au 2e référendum du 2 octobre 2009, de nombreux éditorialistes ont relevé le fait que l’Union Européenne avait perdu 8 années entre les traités de Nice et de Lisbonne sans résoudre les problèmes structurels de l’UE. Les États-Unis d’Amérique et la Chine n’avaient pas commenté le traité de Lisbonne… une première depuis 20 ans, ce qui démontrait pour certains qu’il s’agissait-là d’un « non-événement ». D’autres journaux, moins virulents, ont consacrés plusieurs de leurs éditions à l’analyse des différents changements apportés par le traité de Lisbonne… une tâche compliquée au vu du langage très technique dans lequel le texte du traité avait été rédigé.

La presse a généralement salué l’amélioration du système de vote de l’Union Européenne et la création d’une présidence permanente du Conseil européen qui venait clore le chapitre confus et compliqué de la présidence tournante semestrielle. Au-delà de leur intérêt pratique, ces changements devaient donner à l’Union Européenne un visage plus présentable, avec plus de représentativité, plus de démocratie et moins de référendums. Le traité de Lisbonne avait donc introduit de nombreux changements institutionnels qui s’étaient certes quelque peu égarés du dessein ultime de l’union politique, mais qui auguraient d’une accélération du volume de travail de l’UE. Un plus grand nombre de votes à la majorité qualifiée au Conseil des ministres était censé accroître l’efficacité. Il en était de même pour l’élection d’un président semi-permanent du Conseil européen. Une plus grande codécision impliquant à la fois le Conseil et le Parlement européen dans le processus législatif était censée renforcer la démocratie et la légitimité de l’Union, le Parlement européen étant le seul organe directement élu dans le système. La création de la double casquette de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d’un côté puis de vice-président de la Commission de l’autre, ainsi que la mise en place du service européen pour l’action extérieure dans le rôle d’accompagnateur, étaient des mesures censées renforcer la cohérence entre les relations économiques extérieures, la politique étrangère et de sécurité commune et les autres volets de l’ « action extérieure ».

Mais la question qui était sur toutes les lèvres le reste encore aujourd’hui, une décennie plus tard : les institutions européennes peuvent-elles un jour surmonter les problèmes liés à l’action collective qui se posent quasi-quotidiennement dans l’Europe des 28 ? Et si le leadership du couple franco-allemand était la clé pour surmonter les problèmes posés par la majorité qualifiée, du moins sur les sujets d’importance relative ? L’UE pourra-t-elle un jour trouver le juste équilibre entre les intérêts convergents et les intérêts particuliers chaque État ? Quid de la montée en puissance des concepts de la « préférence nationale » ? Et enfin, y a-t-il encore une échappatoire à la conception de l’Europe des Nations qui gagne du terrain dans une bonne partie des pays européens ?