Avec ce traité, les Européens visaient deux objectifs : modifier certaines dispositions obsolètes du traité de Rome tout en faisant progresser de manière significative l’agenda défini en 1986 dans le cadre de l’Acte unique européen (AUE) pour l’approfondissement de l’intégration entre les différents pays de l’Union politique européenne (UPE). Le traité de Maastricht a créé un nouveau modèle pour la Communauté fondé sur trois « piliers » qui couvraient les relations économiques, les affaires étrangères et les affaires intérieures. Il a également officiellement créé l’Union européenne (UE) dans sa forme contemporaine, lançant par la même occasion le processus de l’Union économique et monétaire (UEM) qui devait conduire à la création de l’euro. Arrivant à un moment de bouleversement politique en Grande-Bretagne et dans toute l’Europe, le Traité de Maastricht a été, comme de nombreux autres principaux traités européens, extrêmement controversé.

Traite de Maastricht
Traite de Maastricht – source: Kolja21

Le traité de Maastricht : de la CEE à l’Union Européenne

Le traité sur l’Union européenne (TUE), également connu sous le nom de traité de Maastricht en référence à la ville néerlandaise où il a été signé, constitue un point décisif dans le processus d’intégration européenne. En modifiant les traités précédents, à savoir les traités de Paris, de Rome ainsi que l’Acte unique européen, l’objectif économique initial de la Communauté, la construction d’un marché commun, a été dépassé. Pour la première fois, l’objectif ultime de l’union politique a été revendiqué et assumé par certains dirigeants européens. Le traité de Maastricht a modifié la dénomination officielle de la CEE. Désormais, elle sera connue sous le nom d’Union européenne (UE).

Le terme « Union » est massivement utilisé dans les médias avant la tenue des réunions, puis pendant et après la signature du traité de Maastricht pour indiquer clairement l’avancement d’un projet historique. C’est ainsi que l’article 2 du traité sur l’Union européenne l’affirme : « Ce traité marque une nouvelle étape dans le processus de création d’une union toujours plus étroite entre les peuples d’Europe ». Le Traité de Maastricht s’est fondé sur trois « piliers » majeurs, selon le langage utilisé dans la rédaction du texte du traité. La métaphore utilisée fait référence à un temple grec soutenu par trois piliers :

  • le premier pilier ou pilier central fait référence à la dimension communautaire et comprend les modalités prévues par les traités « CE », « CECA » et « Euratom », à savoir la citoyenneté de l’Union, les politiques communautaires, l’Union économique et monétaire, etc. ;
  • les nouveaux piliers ou piliers latéraux ne reposent pas sur des compétences supranationales, mais plutôt sur la coopération entre les gouvernements. Le deuxième pilier est la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et le troisième concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale entre les différents États membres.

Une précision s’impose ici sur la différence entre le pilier central, dit « communautaire » au sens de la communauté européenne, et les piliers latéraux qui se basent plutôt sur la coopération intergouvernementale. Il s’agit essentiellement d’une différence de procédure dans la prise de décision et des compétences des institutions communautaires. Ainsi, dans le pilier communautaire, les décisions prises à la majorité seront contraignantes et le rôle des institutions communautaires devient décisif. Dans les piliers dits de coopération intergouvernementale, les décisions doivent être prises d’un commun accord et la Commission, le Parlement européen ou la Cour de justice n’ont pas de droit de regard.

La (très) difficile ratification du traité de Maastricht

La ratification du traité de Maastricht par les parlements nationaux a été confrontée à de nombreuses difficultés. L’année 1992 a été marquée par trois crises successives qui ont freiné l’élan pro-européen suscité par la signature du traité à Maastricht le 7 février 1992 :

  • Premièrement, l’Europe a traversé une crise économique grave et profonde qui a amené les gouvernements et l’opinion publique à se concentrer sur les problèmes économiques, mettant de côté la construction européenne dans son sens large ;
  • Deuxièmement, de graves tensions monétaires ont mis en cause le système monétaire européen et l’objectif de l’Union économique et monétaire (UEM). La très grande hétérogénéité des économies européennes, l’hégémonie du Deutschemark Mark et la réticence de la Grande-Bretagne à renoncer à sa Livre étaient sur toutes les lèvres ;
  • Troisièmement, l’UE a semblé incapable de mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune dans la crise de la Yougoslavie. L’Union est restée impuissante alors que la guerre était de retour sur le continent après des décennies de paix.

C’est donc dans ces conditions que le premier processus de ratification a eu lieu au Danemark, débouchant sur un « Non » danois au Traité de Maastricht par une différence d’environ 50 000 voix. Une vague d’euroscepticisme s’est étendue aux autres pays membres, obligeant les gouvernements à faire campagne pour le « Oui ». Les ratifications du Traité de Maastricht se font progressivement dans le reste des pays. En France par exemple, le « Oui » l’a emporté avec une courte majorité d’environ 51,4 % des voix. Les négociations avec le Danemark ont commencé et le gouvernement de Copenhague s’est vu accorder un protocole spécial, connu dans le langage de l’UE sous le nom de « clause d’exemption », c’est-à-dire la possibilité de ne pas suivre les autres membres lorsque la troisième phase de l’UEM serait enclenchée. Une clause similaire a été accordée au Royaume-Uni lorsque le traité de l’UE a été signé, à la différence près que la Grande-Bretagne a rejeté en bloc puis a été épargnée de toutes les dispositions européennes en matière de défense. Le 20 mai 1993, le peuple danois a approuvé cet accord par référendum avec 53,8% de « Oui ». Le traité de Maastricht est donc entré en vigueur le 2 novembre 1993. Le traité prévoyait une révision future en vue des élargissements successifs de l’Union.

Le développement de l’Union européenne entre 1993 et 1996 et le nouvel élargissement à « l’Europe des Quinze » a eu lieu en 1995. En décembre 1994, le mandat de Jacques Delors, président de la Commission européenne, a pris fin. Son suppléant était l’ancien Premier ministre luxembourgeois, Jacques Santer. Malgré les difficultés que l’Union Européenne traversait et la transformation géopolitique du monde au cours de ces années, les candidatures à l’adhésion à l’UE ont continué à être soumises à Bruxelles, avec l’Autriche en 1989, Malte et Chypre en 1991, la Finlande, la Norvège et la Suisse en 1992. Ce dernier pays a retiré sa candidature quelques mois plus tard, après un référendum national. Les négociations avec l’Autriche, la Suède, la Finlande et la Norvège ont débuté en 1993 et ont été assez aisées en raison du développement économique et social élevé de ces pays. La ratification des traités a eu lieu en 1994. Cependant, le peuple norvégien a de nouveau rejeté l’adhésion à l’Union Européenne. Le « Non » à l’UE a été majoritaire avec 52,2% des voix. C’était la deuxième fois que les Norvégiens refusaient de rejoindre la communauté. Le 1er janvier 1995, le quatrième élargissement de l’UE a eu lieu avec l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède. L’Europe des Quinze était née. Au début de 1996, lors du Conseil européen de Turin, une Conférence intergouvernementale (CIG) a été lancée dans le but d’élaborer un nouveau traité réformant le traité de Maastricht. Les objectifs étaient axés sur le développement de l’Europe des citoyens, la promotion du rôle de l’UE dans la politique internationale, la réforme des institutions et le nouvel élargissement aux pays candidats, principalement en provenance d’Europe centrale et orientale. Après une négociation longue et complexe, les gouvernements des États membres sont parvenus à un accord lors du Conseil européen qui s’est tenu à Amsterdam les 16 et 17 juin 1997. Le traité d’Amsterdam est officiellement né.

Traité de Maastricht : synthèse des perceptions

Pour les Europhiles, le traité de Maastricht a permis d’œuvrer pour une Union Européenne plus forte, plus intégrée et mieux armée pour peser politiquement et économiquement face au géant américain.

  • Le traité de Maastricht a créé une structure capable de composer avec une intégration plus étroite avec notamment l’Union monétaire, tout en donnant plus de poids aux gouvernements nationaux à travers un Conseil européen élargi. Il répondait, dans un sens, à la volonté de réhabiliter les souverainetés nationales face aux craintes insistantes des peuples ;
  • Le processus d’intégration plus étroite à travers l’Union monétaire a rendu indispensable une coopération politique plus étroite ;
  • Le gouvernement britannique a réussi à inclure le principe de subsidiarité dans le Traité de Maastricht, ce qui a contribué à contrebalancer les tendances fédéralistes prônées par d’autres pays.

Pour les Eurosceptiques, le traité de Maastricht a fait basculer l’Union Européenne dans la sphère fédéraliste sans sonder les citoyens des différents États membres.

  • Les mesures d’approfondissement du Traité ont fait émerger un modèle fédéraliste d’intégration européenne qui a mis la Communauté sur la voie d’une Europe unie sur le papier, mais pas sur le terrain ;
  • L’accent mis sur les grandes questions telles que l’UEM a momentanément détourné l’attention des citoyens de l’expansion du contrôle de l’UE dans d’autres domaines tels que l’environnement, la sécurité et les affaires étrangères.

Le traité de Maastricht et l’euro

Le traité de Maastricht a ouvert la voie à la création d’une monnaie européenne unique, l’euro. C’était l’aboutissement de plusieurs décennies de débats sur le renforcement de la coopération économique en Europe. Le Traité a également institué la Banque centrale européenne (BCE) et le Système européen de banques centrales et décrit leurs objectifs. L’objectif principal de la BCE était de maintenir la stabilité des prix pour préserver la valeur de l’euro. L’idée d’une monnaie unique pour l’Europe a été proposée pour la première fois au début des années 1960 par la Commission européenne. Cependant, l’instabilité du paysage économique dans les années 1970 a entraîné la suspension du projet. Les dirigeants européens ont relancé l’idée d’une monnaie unique en 1986 et se sont engagés dans un processus de transition en trois étapes en 1989. Le traité de Maastricht a formellement établi ces étapes :

  • Étape 1 (du 1er juillet 1990 au 31 décembre 1993) : introduction de la libre circulation des capitaux entre les États membres ;
  • Étape 2 (du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998) : renforcement de la coopération entre les banques centrales nationales et alignement des politiques économiques des États membres ;
  • Étape 3 (du 1er janvier 1999 à aujourd’hui) : introduction progressive de l’euro et mise en œuvre d’une politique monétaire unique, sous la responsabilité de la BCE.

Le traité de Maastricht… un quart de siècle plus tard

Le traité de Maastricht a donc dû faire face aux premières vraies contestations. Les raisons de ce rejet étaient diverses. Pour certains, c’était la peur de la migration et la perte de l’identité nationale, notamment dans les pays gouvernés par la Droite. Pour d’autres, c’était le modèle économique, qu’ils percevaient comme trop libéral et peu compatible avec les droits sociaux et les droits des travailleurs, notamment dans les pays gouvernés par la Gauche. Le traité de Maastricht a également introduit la notion de limites budgétaires fondées sur les dettes et les déficits publics… une notion critiquée par beaucoup à l’époque à cause de l’empiétement sur la souveraineté économique des États et la non prise en compte des différences qui peuvent exister entre les différents modèles économiques présents dans l’Union Européenne. Avec du recul, on peut distinguer de nombreux liens historiques entre les débats sur le traité de Maastricht et ceux qui ont accompagné les élections européennes de 2019. La plupart des questions sont fondamentalement les mêmes. Le traité de Maastricht a donc été un véritable tournant pour l’intégration européenne, un jalon dans l’histoire de l’union, mais il a aussi mis en lumière une nouvelle forme d’euroscepticisme plus virulente. Finalement, le Danemark s’est vu accorder quatre dérogations au traité, ouvrant la voie à son adoption et donnant un élan décisif à l’Union Européenne. Mais comme l’illustre le Brexit, la montée de l’euroscepticisme, le conflit permanent entre Rome et Bruxelles sur le budget ainsi que la montée des populistes en Hongrie et en Italie, les détracteurs du traité de Maastricht ont vu leurs idées progressivement adoptées par l’opinion publique.